Justice constitutionnelle: Coopération entre
la Commission de Venise et les cours constitutionnelles
Introduction
La Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue sous le nom de Commission de Venise, ville d’Italie où elle se réunit, est un organe consultatif du Conseil de l’Europe dans le domaine du droit constitutionnel. Composée d’experts indépendants nommés par ses 62 États membres, elle formule des avis sur des questions constitutionnelles au sens large (notamment sur le droit électoral, les droits humains, la législation institutionnelle, et sur le pouvoir judiciaire, les ombudsmans, etc.). Ces avis sont rendus à la demande de ses États membres, des organes du Conseil de l’Europe ou des organisations internationales qui prennent part à son action (BIDDH/OSCE, UE).
Depuis sa création en 1990, la Commission de Venise considère que la coopération avec les Cours constitutionnelles est essentielle à la promotion du constitutionnalisme, qui s’entend de l’idée que toute action entreprise par l’État doit l’être dans les limites fixées par la constitution. Les Cours constitutionnelles et les juridictions équivalentes (Conseils constitutionnels et Cours suprêmes exerçant cette compétence) contribuent de façon décisive à ce que toutes les branches du pouvoir respectent la constitution.
La Commission de Venise s’attache à renforcer les Cours constitutionnelles et les juridictions à compétences équivalentes en leur offrant divers services et en les soutenant directement lorsqu’elles sont soumises à des pressions indues. Cette coopération est pilotée par le Conseil mixte sur la justice constitutionnelle de la Commission de Venise, qui conçoit les outils fournis par la Commission pour l’échange d’informations et l’enrichissement mutuel entre les Cours. Ces outils sont le Bulletin de jurisprudence constitutionnelle, la base de données CODICES et le Forum de Venise. Sur demande des Cours, la Commission de Venise établit des mémoires amicus curiae.
Si la Commission de Venise est une institution européenne, elle offre aussi certains de ses services – notamment la base de données CODICES et le Forum de Venise – à des Cours constitutionnelles au-delà de ses États membres. Elle coopère étroitement avec des Cours constitutionnelles réunies en groupes régionaux ou linguistiques (groupes européen, africain, d’Afrique australe, asiatique, ibéro-américain, Eurasian, arabe, francophone, lusophone, du Commonwealth et de common law). La coopération avec ces groupes a donné lieu à la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle, dont la Commission de Venise assure le Secrétariat.
Parfois, la Commission de Venise invite également des présidents des cours constitutionnelles ou des organes équivalents à ses sessions plénières (par exemple, Allemagne, Hongrie, Corée du Sud, la Suisse et Türkiye).
Pour piloter la coopération avec les Cours constitutionnelles, la Commission de Venise a créé le Conseil mixte sur la justice constitutionnelle (CMJC), qui est composé de membres de la Commission et d’agents de liaison nommés par les Cours constitutionnelles. Le CMJC ayant une double présidence, ses réunions sont coprésidées. L’un des présidents est un membre de la Commission de Venise élu par cette dernière en session plénière ; l’autre est un agent de liaison élu par l’ensemble des agents de liaison lors des réunions du CMJC. Les mandats des deux coprésidents ont une durée de deux ans.
Les Cours et Conseils constitutionnels et les Cours suprêmes dotées d’une compétence constitutionnelle qui participent au Conseil mixte jouent donc un rôle extrêmement important dans la définition des activités de la Commission de Venise dans le domaine de la justice constitutionnelle.
Le périmètre géographique du Conseil mixte couvre les États membres de la Commission de Venise, les États membres associés, les États observateurs et les États ou entités dotés d’un statut de coopération spécial, qui est équivalent à celui d’un observateur (Afrique du Sud, Autorité nationale palestinienne). Au sein du CMJC, toutes les Cours participantes, qu’elles soient d’un État membre ou d’un État observateur, bénéficient du même type de coopération. La Cour européenne des droits humains, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour interaméricaine des droits humains prennent part au Conseil mixte également.
Les réunions du CMJC portent habituellement sur la publication du Bulletin de jurisprudence constitutionnelle, la production de la base de données CODICES, le Forum de Venise (classique, groupe de discussion, Observatoire), sur la coopération avec les groupes régionaux et linguistiques de Cours constitutionnelles et également sur la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle.
Ces réunions sont généralement suivies d’une « mini-conférence » sur un thème de justice constitutionnelle choisi par les agents de liaison qui, à cette occasion, présentent la jurisprudence de leurs Cours respectives.
Les thèmes des mini-conférences dans le passé étaient :
· « Mesures prises par les Etats en réponse à la crise du COVID-19 et leur impact sur la justice constitutionnelle - Jurisprudence constitutionnelle sur les situations d'urgence » (2023, Sofia, Bulgaria)
· « Genre, égalité et discrimination » (2018, Lausanne, Suisse)
· « Cours courageuses : sécurité, xénophobie et droits fondamentaux » (2017, Karlsruhe, Allemagne)
· « Migration » (2016, Venise, Italie)
· « La blasphémie et autres limites à la liberté d’expression » (2015, Bucarest, Roumanie)
· « L'égalité des sexes » (2014, Batoumi, Géorgie)
· « Droits des enfants » (2013, Belgrade, Serbie)
· « L’Etat de droit » (2012, Brno, République tchèque)
· « L'exigence de l'anonymat lors de la publication de décisions juridictionnelles » (2011, Ankara, Türkiye )
· 2010 - pas de mini-conférence
· « Effets et exécution des décisions de contrôle de constitutionnalité » (2009, Tallinn, Estonie)
· « Droits sociaux » (2008, Tirana, Albanie)
· « Le principe de proportionnalité » (2007, Venise, Italie)
· « Egalité des sexes » (2006, Budapest, Hongrie)
Le CMJC se réunit une fois par an à l’invitation de l’une des Cours participantes (la prochaine réunion aura lieu à Rome, Italie en mai 2019). Tous les trois ans, il se réunit à Venise, avant ou après une session plénière de la Commission de Venise.
Le Bulletin électronique de jurisprudence constitutionnelle («e-Bulletin») fait régulièrement état de la jurisprudence des cours constitutionnelles et des tribunaux de compétence équivalente dans les Etats membres et observateurs de la Commission de Venise, y compris la jurisprudence de la Cour européenne des droits humains, la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour interaméricaine des droits humains. Le bulletin électronique est envoyé aux agents de liaison et aux abonnés par courrier électronique trois fois par an, chaque courrier faisant état de la jurisprudence la plus importante dégagée au cours d’une période de quatre mois. Si vous souhaitez recevoir le bulletin électronique, veuillez-vous inscrire ici .
Les Bulletins - (depuis 2000) sont disponible ici : Bulletins.
Des Bulletins spéciaux sont publiés en version papier tous les trois ans sur le sujet des congrès de la Conférence des cours constitutionnelles européennes (CCCE).
La base de données CODICES (www.codices.coe.int) contient plus de 10 000 textes intégraux d’arrêts de plus de 100 cours, pour la plupart en anglais ou en français, mais aussi dans d’autres langues, ainsi que des résumés de ces arrêts (décisions abrégées) en anglais et en français.
CODICES contient également les lois des cours constitutionnelles ou tribunaux de compétence équivalente et les constitutions de presque tous les Etats membres et observateurs de la Commission de Venise ainsi que d’autre informations y compris des descriptions des cours et les rapports des mini-conférences du Conseil mixte sur la justice constitutionnelle.
Lien utile: CODICES en ligne
À la demande du pouvoir exécutif ou législatif de ses États membres, la Commission de Venise donne des conseils juridiques sur des projets de loi ou sur des législations déjà en vigueur.
Ces avis peuvent aussi porter sur des (projets de) dispositions constitutionnelles ou juridiques qui régissent le fonctionnement des Cours constitutionnelles ou instances équivalentes. Dans ce cas, en règle générale, la Commission de Venise conseille, dans ses avis, de renforcer l’indépendance des Cours et de permettre l’accès des particuliers à ces juridictions. Parfois, les Cours constitutionnelles elles-mêmes sollicitent des avis sur des projets de loi concernant les Cours.
Cela étant, les Cours constitutionnelles (ou la Cour européenne des droits de l’homme) peuvent aussi solliciter des avis sur les affaires dont elles sont saisies. Ces avis sont alors appelés « mémoires amicus curiae ». Un mémoire amicus curiae de la Commission de Venise fournit des informations sur des aspects comparatifs du droit constitutionnel et du droit international. Il ne porte donc pas sur la constitutionnalité de la loi concernée dans une affaire donnée instruite par la cour requérante.
Le rôle de la Commission de Venise n’est donc ni de traiter les affaires particulières pendantes devant la cour requérante, ni d’évaluer la constitutionnalité des dispositions internes. Ce rôle incombe à la cour du pays concerné. C’est pourquoi, la Commission de Venise demande aux Cours de formuler, dans leurs demandes de mémoires amicus curiae, des questions précises pour lesquelles elles souhaitent obtenir une réponse de la part de la Commission.
Un exemple représentatif de mémoire amicus curiae nous est donné par le mémoire demandé par la Cour constitutionnelle de la République de Moldova sur l’action récursoire de l’État à l’encontre des juges (CDL-AD(2016)015). L’affaire portée devant la Cour constitutionnelle de la République de Moldova concernait la constitutionnalité de l’article 27 de la loi moldave n° 151 relative à l’Agent du Gouvernement, qui donne à l’État le droit d’action récursoire à l’encontre de personnes (y compris de juges) dont les actes ou les omissions ont entraîné ou fortement contribué à entraîner une violation de la Convention européenne des droits de l’homme, selon un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, un règlement amiable imposé à la République de Moldova pour une affaire pendante devant cette Cour, ou une déclaration unilatérale du Gouvernement de la République de Moldova.
La Cour constitutionnelle de la République de Moldova a rendu un arrêt dans cette affaire le 25 juillet 2016, qui tient compte de la plupart des recommandations formulées par la Commission de Venise dans son mémoire amicus curiae. Notamment, la Cour constitutionnelle a jugé que l’action récursoire n’est pas, en soi, contraire à la Constitution, tant que l’indépendance des juges est garantie, étant donné que l’indépendance du pouvoir judiciaire est un préalable à la prééminence du droit et la garantie fondamentale d’un procès équitable.
Autres mémoires amicus curiae récents :
- Mémoire Amicus Curiae urgent pour la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême du Kirghizistan sur le report des élections motivé par la réforme constitutionnelle, entériné en décembre 2020
- Mémoire Amicus Curiae conjoint urgent pour la Cour constitutionnelle de la République de Moldova sur trois questions juridiques concernant le mandat des membres des organes constitutionnels, entériné en décembre 2020
- Mémoire amicus curiae pour la Cour Constitutionnelle d’Arménie concernant l’article 300.1 du Code pénal, adopté en juin 2020
- Mémoire amicus curiae pour la Cour constitutionnelle de la République de Moldova sur le projet de modification de la Loi sur le ministère public, adopté en décembre 2019)
- Mémoire amicus curiae pour la Cour constitutionnelle d'Ukraine sur la résiliation anticipée du mandat des parlementaires en Ukraine, adopté en décembre 2019 (disponible seulement en anglais)
- Mémoire amicus curiae pour la Cour constitutionnelle de la République de Moldova sur la responsabilité pénale des juges de la Cour constitutionnelle, adopté en décembre 2019 (disponible seulement en anglais)
- Mémoire amicus curiae pour la Cour européenne des Droits de l’Homme en l’affaire Mugemangango c. Belgique sur les garanties procédurales qu'un État doit fournir dans le cadre d'une procédure de contestation du résultat d’une élection ou de répartition des sièges, adopté en octobre 2019
- Mémoire amicus curiae pour la Cour constitutionnelle de l'Ukraine sur l'introduction de recours en appels distincts contre des mesures preventives (privation de liberté) ordonnés en première instance, adopté en mars 2019
- Mémoire amicus curiae pour la Cour constitutionnelle de Géorgie concernant les effets de décisions de la Cour constitutionnelle sur les jugements définitifs en matière civile et administrative, adopté en juin 2018
- Mémoire amicus curiae pour la Cour européenne des droits de l'homme en l'affaire Berlusconi c. Italie, adopté en octobre 2017 ;
- Mémoire amicus curiae pour la Cour constitutionnelle de Moldova sur la responsabilité pénale des juges, adopté en mars 2017;
- Mémoire amicus curiae pour la Cour constitutionnelle d’Albanie relatif à la loi sur la réévaluation transitoire des juges et des procureurs (Loi sur la réévaluation), adopté en décembre 2016 ;
- Mémoire amicus curiae adopté pour la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine sur le mode d’élection des délégués à la chambre des peuples du Parlement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, adopté en octobre 2016 ;
- Mémoire amicus curiae - pour la Cour constitutionnelle de l'Albanie - sur la restitution des biens, adopté en octobre 2016;
- Mémoire amicus curiae concernant la règle "non ultra petita" dans les affaires pénales pour la Cour constitutionnelle de Géorgie, adopté en juin 2015;
- Mémoire amicus curiae en l’affaire Rywin c. Pologne (requêtes n° 6091/06, 4047/07, 4070/07) pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme (sur les commissions parlementaires d’enquête), adopté en mars 2014 .
En réponse à des demandes formulées par plusieurs Cours constitutionnelles, la Commission a mis en place une série d’activités avec ces organes, parmi lesquelles des conférences et des séminaires (CoCoSem). Depuis 1990, des conférences et des séminaires ont été organisés, entre autres, en Afrique du Sud, en Allemagne, en Arménie, en Azerbaïdjan, au Bélarus, en Bolivie, en Bosnie-Herzégovine, au Brésil, à Chypre, en Croatie, en Estonie, en France, en Géorgie, en Hongrie, en Italie, au Kazakhstan, au Kirghizstan, en Lettonie, en Lituanie, au Malawi, au Mexique, en République de Moldova, au Monténégro, en Ouzbékistan, au Pérou, en Pologne, en République tchèque, en Roumanie, en Russie, en Slovaquie, en Suisse, au Tadjikistan et en Ukraine. Les thèmes abordés ont porté non seulement sur des questions pratiques comme la gestion des affaires ou le budget des Cours et leurs relations avec le public, mais aussi sur des questions en lien avec les principes fondamentaux de la démocratie telles que la séparation des pouvoirs ou l’indépendance de la justice.
Les conférences et séminaires ont pour objet d’instaurer un dialogue direct entre les juges et le personnel des Cours constitutionnelles sur des sujets d’intérêt commun. Au cours de ces événements, l’échange d’informations non seulement conduit à l’enrichissement mutuel des idées et des expériences, mais il renforce aussi les capacités des Cours à mesure qu’elles apprennent comment leurs homologues sont parvenus à surmonter des situations difficiles.
Depuis 1996, la Commission de Venise a établi une coopération avec plusieurs groupes régionaux ou linguistiques de cours constitutionnelles, dont la Conférence des cours constitutionnelles européennes, l’Association des cours constitutionnelles Francophones, le Forum des juges en chef de l’Afrique australe, l'Association eurasienne des organes de contrôle de la constitution, l’Association des cours constitutionnelles et juridictions à compétences équivalentes d’Asie, l’Union des cours et des conseils constitutionnels arabes, la Conférence ibéro-américaine de justice constitutionnelle, la Conférence des cours constitutionnelles africaines et la Conférence des tribunaux constitutionnels des pays de langue portugaise. Le but de cette coopération est de renforcer les cours membres de ces groupes dans leur mission de sauvegarde de la suprématie de leur constitution.
En vertu des accords de coopération passés avec la Commission de Venise, les cours membres de ces groupes ont la possibilité d’enrichir la base de données CODICES avec leur jurisprudence, et les groupes sont représentés au sein du CMJC. L’affiliation de ces groupes au CMJC et leur participation directe aux travaux de ce dernier permettent aux cours de devenir membres de la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle (voir ci-dessous). Dans ce contexte, la Commission de Venise coopère également avec les plus hautes juridictions des pays du Commonwealth et de common law.
Les cours constitutionnelles ont pour principale mission de supprimer de la législation les textes de loi qui sont contraires à la constitution. Dans de nombreux pays, elles contrôlent aussi les actes du pouvoir exécutif et même la constitutionnalité des arrêts ordinaires définitifs des cours. Ces pouvoirs peuvent faire naître des conflits avec les organes politiques qui ont adopté des mesures jugées inconstitutionnelles et retirées par les cours constitutionnelles.
Parfois, les cours constitutionnelles sont donc non seulement critiquées pour leurs arrêts – ce qui est légitime –, mais aussi menacées par ces pouvoirs, qui usent de divers moyens contre elles : réduction du budget de la cour, adoption d’une législation qui bloque les travaux de la cour, refus de nomination des juges ou nominations purement politiques destinées à « s’accaparer » la cour. Dans quelques cas, les cours constitutionnelles ont purement et simplement été supprimées.
En pareil cas, la Commission de Venise – ou, lorsque c’est urgent, son Président – adopte des déclarations pour dénoncer ces pratiques. Sur demande, la Commission de Venise formule aussi des avis sur les législations qui menacent prétendument de bloquer une cour.
Les cours sollicitent des mémoires amicus curiae de la Commission de Venise lorsqu’elles craignent que des pressions ne soient exercées sur elles en raison de leurs décisions.